L'initiation (11/15) : Le second croquis

Publié le par Weird

Ni vous ni moi ne connaîtrons jamais la réponse à cette question, car mon rêve prit subitement fin à ce moment précis. Il n’y eut aucune transition ni le moindre délai lors du changement de mondes. Gwennen, le bateau et la rivière avaient tout simplement laissé la place à l’environnement familier de ma chambre. Cette brutale interruption de mon songe provoqua en moi un intense sentiment de frustration. La nuit n’en était qu’à sa moitié, mais je mis pourtant un bon moment avant de me rendormir, agacé par cette conversation avortée… Au matin, je me levais avec une migraine qui m’accompagna tout au long de la journée. Incapable de me concentrer sur mon travail, je ressassais, au fil des heures, le déroulement de ce dernier voyage sur la Lune. Hélas, loin de me calmer, cette réflexion apporta plus de questions que de réponses à mes interrogations ! Les surprenantes révélations que Gwennen m’avait faites sur les gardiens ne me gênaient pas plus que cela. Une fois assimilé le fait que la mort avait pu accroître les connaissances de la Harpiste, le reste semblait plutôt cohérent. Par contre, deux autres points m’intriguaient davantage…

Tout d’abord, la manière incompréhensible dont s’était achevé mon affrontement contre le cadavre m’obsédait. Je ne demandais qu’à croire ma guide et la foi aveugle qu’elle avait en mes capacités de haut-rêvant, mais quelque chose ne collait pas. Je me souvenais nettement d’avoir été totalement surclassé, et cette chose aurait évidemment dû m’achever. Incapable de trouver une explication logique, je tâchais de ne plus y penser, en espérant que pourrai comprendre un jour (ou plutôt une nuit) ce qui s’était réellement passé. La deuxième chose qui me tourmentait était la soudaine attirance que j’avais ressentie pour Gwennen. Autant ce désir m’avait semblé naturel pendant mon rêve, autant je le trouvais désormais grotesque. Jusque là, mes incursions dans les hautes-terres s’étaient avérées étranges et parfois effrayantes, mais la tournure romantique qu’avait pris cette histoire me semblait déplacée. Bien sûr, mon amie nocturne était très attirante, et j’avais déjà pu ressentir une complicité évidente entre nous. Mais le fait que je puisse tomber amoureux d’une personne, au mieux fantasmée et au pire à demi-humaine, n’était pas sérieux. Je ne ressentais d’ailleurs plus du tout le même attrait pour elle, ce qui me conforta dans mon doute. Tout ceci n’avait sûrement été qu’une conséquence de mon étranglement, et du manque d’oxygène dont j’avais souffert. Tout comme la migraine dont je souffrais dans le monde de l’éveil, d’ailleurs.

Accaparé par ces pensées, ce ne fut qu’à la tombée de la nuit que je pris conscience d’un autre problème, pourtant essentiel : comment allais-je retrouver Gwennen ? Si mon prochain passage dans les hautes-terres me ramenait à la cabane, je n’aurais aucune chance de la rattraper en suivant la rivière. Il me fallait donc, à l’aide du second croquis, rejoindre la prochaine étape de notre périple. La difficulté restait de savoir quand… En arrivant trop tôt, je ne disposerai que de quelques heures – la durée de mon rêve - pour attendre ma guide. Ne disposant d’aucun moyen de savoir précisément quand elle y arriverait, il ne me restait donc qu’une solution : partir assez tard pour être sûr que Gwennen ait eu le temps d’arriver avant moi. Elle m’avait parlé de quelques jours de navigation fluviale. A regret, je décidais donc de laisser s’écouler une semaine avant d’ouvrir à nouveau le coffret du peintre. Cela donnerait à mon amie un délai suffisant pour rejoindre la ville et préparer mon arrivée. Je ne souhaitais en aucun cas me retrouver à nouveau seul face à une autre créature de cauchemar…

Une semaine plus tard donc, frustré au plus haut point par mon impuissance à maîtriser le temps du rêve, je pris connaissance du second croquis. Comme Gwennen me l’avait annoncé, il représentait effectivement une ville. Ou plus précisément le quartier d’une ville, que l’on devinait plus vaste. Il s’agissait bien évidemment une scène nocturne, aussi sombre que puisse être la nuit dans les contrées du rêve. Les différents bâtiments étaient réduits à des silhouettes, percées de fenêtres qui formant ça et là des tâches lumineuses dans le dessin. Un édifice, a priori l’élément principal de l’œuvre, se détachait des autres par sa haute taille et son toit en coupole. Il était situé à quelques rues d’un port où plusieurs bateaux de tailles variables étaient esquissés. Je passais plus d’une heure à contempler l’œuvre du gardien et à m’imprimer des détails de ces lieux. J’étais excité à l’idée de repartir enfin là-bas, et aussi de découvrir une ville, car les seuls lieux que j’avais visités jusqu’alors n’avaient été que des constructions isolées. Peut-être serait-ce également l’occasion pour moi de rencontrer les habitants « normaux » de la Lune ? Car, à part Gwennen, deux gardiens, quelques hauts-rêvants et des monstres en pagaille, je n’avais encore jamais pu parler à des sélénites ordinaires !

C’est donc plein d’espoir que j’allais me coucher, et une fois de plus le travail du peintre fit merveille car je m’endormis en seulement quelques minutes. Je repris conscience dans une chambre richement meublée, dont la décoration m’évoquait le moyen-orient. La pièce était éclairée par plusieurs lampes à huile dont la flamme était filtrée par des verres colorés. Des meubles en bois sculpté, des tapisseries aux motifs complexes, et une forte odeur d’encens ajoutait au dépaysement que je ressentais. J’eu la surprise de constater que, contrairement aux autres voyages, j’étais cette fois arrivé totalement nu en ces lieux. Mes habituels vêtements de haut-rêvant étaient pliés sur une chaise, non loin du lit où je me trouvais. Habitué à devoir réagir rapidement dans ce monde inconnu, je repoussai les draps de soie et commençai à m’habiller, tout en continuant à examiner la pièce. Elle me faisait penser à une chambre que l’on aurait pu trouver dans un hôtel à thème, au sein d’un parc d’attraction dédié aux milles et une nuit. Le luxe était évident, mais l’aspect général me paraissait étrange et déconcertant. Je venais de finir de boucler mon pantalon lorsqu’un rideau s’écarta, laissant entrer Gwennen.

Elle portait une tenue exotique qui ne dépareillait pas avec l’ambiance du lieu. Son pantalon bouffant et son minuscule caraco semblaient constitués de plusieurs tulles très légers, dont seule la superposition garantissait une certaine opacité. Sa tenue ne masquait au final pas grand chose de sa délicieuse anatomie, dévoilant en particulier un ventre plat et musclé dont j’eu du mal à détacher le regard... Elle finissait de s’essuyer les cheveux, à la manière d’une personne qui sort de sa douche sans se douter qu’elle est observée. Lorsqu’elle prit conscience de ma présence, elle se précipita vers moi et, sans me laisser le temps de réagir, me serra dans ses bras. Le fait que je sois torse nu et elle-même guère plus vêtue ne semblait pas du tout la gêner. Quant à moi, la bouffée de chaleur que je ressentis instantanément à son contact me laissa aussi perplexe que désarmé. Mes conclusions sur l’ineptie de notre relation, que j’avais fini par accepter dans le monde de l’éveil, me semblèrent soudainement aussi lointaines qu’inexplicables. Relevant ses yeux vers les miens, Gwennen s’apprêtait à me parler lorsque la porte de la chambre s’ouvrit à la volée. Le jeune homme d’une vingtaine d’années qui venait d’entrer précipitamment se figea en nous découvrant ainsi enlacés. Et au regard chargé de haine qu’il me jeta, je compris que ces quelques instants d’intimité étaient déjà de l’histoire ancienne…

Publié dans Chroniques

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T
Ca y est, j'ai lu ce chapitre!! Comme d'habitude, c'est très bien, j'ai bien aimé cette ambiance orientale...<br /> J'ai hâte de voir ce qui va se passer avec ce nouvel "ami" (gniak)!!!<br /> Par contre, euh... j'ai dû louper un épidose, j'ai toujours un train de retard, c'est quoi ce projet de fan club? je suis partante!
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W
- Tortoise : Cool, merci d'avoir trouvé le temps de me lire ! Content qu'il te plaise (ce chapitre "exotique") et qu'il t'intrigue (ce nouveau venu). La suite sera en ligne... hum... après-demain :-)
T
héhé chose promise chose dûe ! Au fait, bonne idée pour le forum ;-) mais pour le moment tu as raison je me sens un peu seule !! Allez les autres, on se motive !! (Tortoise tu te joins à moi, hein ?!)
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W
- The Wanderin : Ah parce qu'en plus, c'est un vrai projet ? Je pensais que c'était juste un délire le temps d'un commentaire... Alors là je vais vraiment rougir ;-)
T
Oh moi qui croyais qu'on allait avoir un chapitre hyper-romantique !! ;-) Non, tant pis... en tout cas des questions existentielles tu t'en poses toujours ! Mais c'est bien, c'est le questionnement qui fait le philosophe :-D <br /> J'en profite pour faire mon annonce, comme je te l'avais promis... hé non je n'ai pas oublié :-D Pour celles et ceux qui suivent cette merveilleuse histoire, il y existe à présent une Association de Fans Inconditionels des Chroniques de Weird ... Et puis y'a même une dédicace spéciale de La Bête pour chaque membre, c'est cool non ?! (heu, Weird, t'es d'accord hein ??!) ;-D
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W
- The Wanderin : Mais c'est pas vrai, cette fille est complêtement dingue :-D !!! Quelle sera la prochaine étape, un forum de discussion pour émettre des théories sur le contenu des prochains chapitres ? Halala, je suis gêné, je ne sais plus où me cacher ! Et sinon, La Bête est ok pour les dédicaces, à condition de lui payer des pots-de-crevettes (l'équivalent félin des pots-de-vin) ;-) Quoi qu'il en soit, merci pour ton soutien, chère présidente (et unique membre) de mon fan-club !
D
Dis donc, ça se corse... si c'était sensé être votre futur allié, je crois qu'il ne faudra pas trop lui faire confiance :-/
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W
- DDC : Mouaip, il faut croire que j'ai un don pour arriver comme un cheveu dans la soupe :-D