Le pentacol - Chapitre 4 : Dans la gueule du loup

Publié le par Weird

J’avais quasiment atteint la cellule lorsque le messager arriva. Il était fébrile (du moins, autant qu’un boggart pouvait l’être) à l’idée de me transmettre son information. Et, bien que cette dernière impliqua un délai de plusieurs heures avant que je puisse m’occuper de Gwennen, elle me remplit d’une joie mauvaise. Après avoir écouté attentivement son compte-rendu, je le renvoyai au rez-de-chaussée pour préparer mon départ. Pensif, je choisis de demeurer ici quelques instants pour savourer pleinement la situation. J’étais comme un gamin à Noël, hésitant simplement sur l’ordre dans lequel il allait ouvrir ses cadeaux. Cette nuit était décidément exceptionnelle à tout point de vue, et je ne pus empêcher mon rire de résonner dans le sous-sol. Après Gwennen, la tenancière était également à la portée de ma main ! Une sentinelle venait de la repérer à l’orée de la forêt. Cette idiote était seule, et semblait se diriger vers le château. Comme j’avais systématiquement contrecarré les actions de sa pitoyable résistance, il s’agissait sûrement d’une manœuvre désespérée pour m’assassiner. Je supposais que les quelques haut-rêvants ralliés à sa cause l’avait finalement abandonnée, et qu’elle tentait là une approche directe. C’était sans compter sur la vigilance de mes troupes, pauvre naïve !

Hésitant sur la conduite à tenir, les deux boggarts qui montaient la garde devant la cellule de Gwennen s’approchèrent de moi. Ils étaient à la fois curieux de savoir ce qui me mettait de si bonne humeur, et sans doute un peu troublés par la singularité de la chose. Hilare, je leur dis de continuer à bien surveiller leur prisonnière, car je m’occuperai d’elle un peu plus tard. Ils repartirent donc vers la porte de la prison en échangeant des blagues sur sa mort prochaine. Je fis demi-tour et remontai l’escalier au pas de course, tout en laissant vagabonder mes pensées. Il faudrait bien que j’arrive à me décider sur le sort que je réserverai à ma prisonnière. J’étais décidé à la tuer, mais pas sans pleinement profité d’elle. Et avant ça, la Tenancière ferait office d’amuse-gueule ! Le messager avait bien suivi mes instructions, car une dizaine de boggarts lourdement armés m’attendait dans l’entrée du château. J’échangeai ma cape d’intérieur contre un manteau et m’apprêtai à sortir. Bien que les pouvoirs de la musicienne s’amoindrissaient et que le port d’un manteau ne fut plus nécessaire pour évoluer sur son domaine, je préférai ne prendre aucun risque. Après avoir relevé la capuche, je fis signe à ma troupe de me suivre à l’extérieur.

Comme je m’étais attendu à une excitante traque nocturne, je fus déçu de la facilité avec laquelle nous capturâmes la tenancière. Moins d’une demi-heure après avoir quitté le château, nous l’avions déjà cernée ! Son approche, bien que relativement discrète, manquait assurément de subtilité. Sur un ordre de ma part, les boggarts jaillirent des sous-bois et l’entourèrent de manière menaçante. Elle sembla hésiter quelques instants sur la façon dont elle devait réagir, délai que j’employai pour me montrer à mon tour. En m’apercevant, son expression se figea d’une étrange manière, et je sus qu’elle ne montrerait pas de résistance. Mes boggarts eurent tôt fait de lui lier les mains et de la fouiller, mais elle n’était pas armée. En fait, et très bizarrement, elle n’avait absolument rien sur elle mis à part ses vêtements. Avait-elle donc estimé que ses pouvoirs de haut-rêvante seraient suffisants pour me vaincre ? S’ils lui avaient précédemment permis d’échapper à mes patrouilles, elle venait de faire une grosse erreur d’appréciation. A moins que son objectif, en venant ici, fut tout autre ? Comme elle restait silencieuse, et que je ne souhaitai pas l’interroger devant les boggarts, c’est dans le silence le plus total que nous revînmes au château…

Une fois arrivés, je la fis conduire dans ma chambre et demandai qu’on nous laisse seuls. Le dernier boggart ressorti, je verrouillai la porte et glissai la clef dans une de mes poches. La tenancière, les mains toujours entravées, me faisait face avec une attitude neutre. Désireux de lui montrer que je ne la craignais nullement, je passai dans son dos et lui déliai les mains. Tout en frottant ses poignets marqués, elle finit par rompre le silence. « Je suppose que vous vous posez des questions sur la raison de ma présence ici. » dit-elle calmement. « Et également que vous devez trouver ma capture trop facile… ». Bien que n’ayant pas du tout une conduite soumise, elle avait prononcé ces mots sans la moindre arrogance. J’étais effectivement perplexe, mais je ne voulais en aucun cas le lui avouer, aussi me contentai-je de l’inviter à poursuivre. « En fait » continua-t-elle, « je voulais m’entretenir avec vous. C’est pour cela que je suis venue, et c’est pour cela que je ne me suis pas défendue. Je savais que tôt ou tard, vos boggarts me repèreraient. ». Son calme commençait à m’énerver sérieusement, aussi je décidai de changer d’attitude. « Et tu t’es jetée dans la gueule du loup ! » lui assénai-je, victorieux. « Tu as préféré te rendre plutôt que de continuer seule cette lutte inutile ! ». La femme plongea son regard droit dans le mien avant de me répondre : « Je ne suis pas venue pour me rendre, mais pour mettre fin à cette situation. ».

L’assurance qu’elle affichait en prononçant ces mots me mit mal à l’aise. Non seulement cette femme ne semblait pas me craindre, mais elle commençait à m’inquiéter. Elle était désarmée, au sein même d’un château occupé par mes troupes, mais c’était moi le prisonnier, captif de son attitude que je ne comprenais pas. La situation était d’autant plus troublante que j’avais pris l’habitude de terrifier – par ma simple présence – tous les habitants des contrées du rêve, jusqu’à mes propres troupes ! Une idée me traversa l’esprit : et si je n’étais pas en présence de la tenancière, mais du Maître ? Il avait peut-être décidé de prendre son apparence pour me faire subir un test ? Cela aurait en tout cas expliqué ce sentiment d’infériorité que je ressentais alors… Quoi qu’il en fut, j’étais décidé à ne pas laisser paraître mon trouble et à reprendre les choses en main. « Explique-toi clairement ! » lui ordonnai-je soudain. « Je n’ai pas de temps à perdre avec une rebelle dans ton genre. Si tu pensais pouvoir m’assassiner, c’est que tu as largement surestimé tes forces ! ». La femme fit un pas dans ma direction, puis répondit avec le même aplomb : « Je n’aurai effectivement aucune chance de vous tuer. Si je me présente à vous, c’est pour vous apporter mon aide…

Cela fait des semaines que nous nous affrontons en vain. J’ai compris que cette stratégie ne me mènerait à rien. Il est aujourd’hui évident que vous vous êtes rendu maître de ces terres, et que rien ne peut plus vous arrêter. Je ne suis pas de taille à lutter contre votre contrôle du rêve ni votre armée de boggarts. J’ai donc décidé de revoir mon attitude et de modifier nos relations. Pourquoi continuer à vous considérer comme un ennemi alors que j’aurai d’avantage à gagner si nous étions alliés ? ». Bien qu’affichant un sourire séduisant, la tenancière eut un infime trémolo en formulant cette question. Je sus ainsi qu’il s’agissait bien d’elle et non du Maître, et que finalement… elle me craignait ! Désireux de lui montrer ma supériorité, je lui répondis : « Tu préfères donc retourner ta veste et t’allier à moi pour profiter de ma victoire ? C’est effectivement une sage décision, mais que tu prends hélas un peu tard. De plus, qu’aurais-tu à m’offrir que je ne puisse prendre moi-même, avec ou sans ton accord ? ». Excité par cette situation que je dominais à nouveau, je joignis le geste à la parole. Lui agrippant prestement les cheveux, j’inclinai sa tête en arrière et l’embrassai de force. La tenancière se débattit d’abord faiblement, puis finit par me rendre ce baiser avec une fougue surprenante. Quelque chose dans son regard fiévreux m’indiqua alors qu’elle venait d’obtenir ce pour quoi elle était venue…

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D
Teut teut teut, t'as signé pour les 24 tomes, tu les écriras, n'essaie pas de t'en sortir par une pirouette ! (Quoi, tu ne te souviens pas avoir signé ? C'est sûrement que ce philtre a dû ravager quelques neurones au passage ;-p)
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W
- DDC : Héhéhé, peut-être pas 24 tomes, mais celui-ci n'est pas le dernier, c'est sûr ;-)
D
La tenancière aurait-elle trouvé (peut-être avec l'aide du Peintre qui doit se sentir à présent menacé ?) un moyen de contrer le philtre qu'on te fait boire chaque matin ? T'aurait-elle transmis quelque chose par son baiser ? Voilà qui ouvre d'intéressantes perspectives, en tous cas quelle que soit la réponse, je la trouve bien courageuse !
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W
- DDC : Et bien, une fois de plus tu avances un tas d'hypothèses très intéressantes... En fait je commence à devenir optionnel, tu vas bientôt pouvoir écrire la suite de mes chroniques sans mon aide ;-)
T
beaucoup de mystères dans ce chapitre... D'abord comme l'a remarqué Tortoise, c'est bizarre cette reddition, et puis cette petite phrase finale aussi. Je suis désolée de le dire mais tu passes encore plus pour une sorte de fou furieux avec tes accès d'hilarité et tes colères soudaines... moi ça me fait peur ;-)
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W
- The wanderin : Il y a effectivement de quoi avoir peur... Moi-même il m'inquiète ce cinglé ;-) Et tu n'as pas à être désolée, au contraire, ça me fait plaisir d'avoir réussi à faire passer ce sentiment d'instabilité dans mon texte !
T
Serait-ce encore une manigance? Ca me paraît quand même bizarre, ce retournement de la tenancière...Vite la suite!
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W
- Tortoise : Tu ne crois pas qu'elle a finalement décidé de se ranger du côté du vainqueur ? :-p