Le récit de Gwennen (5/15) : Hospitalité

Publié le par Weird

En effet, quelques minutes plus tard, notre guide nous faisait entrer dans une salle imposante où nous attendaient quatre autres personnes. Je fus immédiatement sidérée par l’extrême ressemblance des membres de cette famille. Quand le jeune homme chuchota quelque chose à l’oreille de son père, j’eus l’impression de le voir parler à une version vieillie de lui-même. Deux jeunes filles, à l’allure élancée et en tout point identiques, se tenaient quelques pas en arrière. Incapable d’estimer si elles étaient plus âgées ou plus jeunes que leur frère, je finis par comprendre qu’il s’agissait de triplés. Quant à leur mère, elle semblait également sortie du même moule : grande, pâle, et étrangement séduisante. Touche finale à leur surprenante similitude, tous étaient vêtus de la même tenue somptueuse que le jeune homme. Tandis que les jumelles discutaient à voix basse en souriant à l’attention de mon compagnon, le gardien avança vers nous de la même démarche glissante que son fils et prit la parole :

« Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue au Palais des Brumes. Rares sont les voyageurs qui nous font l’honneur de nous rendre visite. Soyez assurés du plaisir que nous avons de vous accueillir en nos murs, vous qui venez de loin. ». Bien qu’extrêmement polie, son entrée en matière me laissa perplexe. A peu de chose près, il venait de prononcer les mêmes phrases que son fils, quelques minutes auparavant. L’analogie de leur discours, ajoutée à leur ressemblance physique, me troublait profondément. Tâchant de ne pas penser à l’état de mes propres vêtements, je nous présentais, mon ami et moi, le plus dignement possible. Bien qu’il se reprit très rapidement, notre interlocuteur ne put réprimer une réaction de surprise lorsque je lui appris que j’étais moi-même la fille d’une gardienne. Je terminais en lui expliquant la raison de notre présence dans son domaine. A ma grande déception, il me répondit que nous étions les premiers visiteurs qu’ils recevaient depuis des mois, et que le Haut-Rêvant ne s’était pas encore présenté à eux. Après quelques minutes de discussion, il fut décidé que nous demeurerions tous deux au Palais des Brumes jusqu’à son arrivée.

C’est donc ainsi que débuta mon séjour dans cette étonnante et nébuleuse bâtisse. Le gardien nous attribua une chambre chacun. A mon grand regret, ces dernières étaient assez éloignées l’une de l’autre. Toutes les pièces du palais, que je visitais pour passer le temps les jours suivants, étaient aussi dépouillées et immaculées que celles que nous avions découvertes à notre arrivée. J’eus accès à de nombreux vêtements, tous blancs et luxueux, ce qui fait que je finis moi aussi par me fondre dans le décor. Lorsque, le soir venu, je me couchais pour la première fois, j’eus l’impression de flotter au-dessus des nuages. En effet, les draps cotonneux se mélangeaient à la brume qui arrivait à la même hauteur que le lit. Bien que très particulier, cet environnement finit par me sembler familier avec le temps, et je me mis à apprécier le style si épuré du bâtiment, avec ses portes coulissantes qui s’ouvraient d’elles-mêmes lorsque j’approchais d’un mur.

A mesure que les jours passaient, je vis de moins en moins les autres habitants des lieux. Le gardien et sa compagne semblaient toujours absents, occupés par la gestion du domaine comme me m’expliqua leur fils. Mon ami le marin, au départ peu rassuré par l’étrangeté de ces lieux, reprit rapidement confiance tandis qu’il sympathisait avec les jumelles. Après quelques jours, il fut clair qu’elles l’intéressaient nettement plus que moi, et je finis par me lasser de son attitude. Le luxe des lieux avait dû lui faire tourner la tête, et il sembla oublier la raison de notre présence sur cette île. Pavanant dans ses nouveaux vêtements, il arpentait les couloirs du palais tel un prince imbu de lui-même, encadré par les jumelles qui semblaient l’avoir adopté. Ce trio écervelé - et gloussant à n’importe quelle occasion - commença franchement à m’énerver.  Sans en avoir clairement pris la décision, je me rendis compte que j’avais commencé à prendre l’habitude de les éviter autant que possible…

En fait, le seul avec qui je discutais pendant cette période était le fils du gardien. Il savait s’effacer lorsque j’avais besoin d’être seule, mais semblait toujours se matérialiser à mes côtés lorsque je désirais sa compagnie. Sa manière de s’exprimer, dans laquelle j’avais cru déceler du dédain lors de notre première rencontre, n’était en fait qu’une conséquence du peu de contacts qu’il avait pu avoir avec des personnes de l’extérieur. C’était la première fois que je rencontrais le fils d’un gardien, et nous nous découvrîmes de nombreux points communs, bien que nos existences aient été très différentes. Nous passâmes de nombreuses heures à arpenter les différentes ailes du Palais des Brumes, évoquant des souvenirs de nos enfances respectives. Un jour, j’eus le malheur de lui proposer d’aller nous promener dans la vallée. Il me regarda alors comme si je venais de lui demander de se jeter du haut d’une falaise. Sans m’expliquer clairement pourquoi, il me fit comprendre qu’aucun membre de sa famille ne sortait jamais du palais, et que ma suggestion lui semblait grotesque. Etonnée autant qu’attristée par sa réaction, je décidais de ne plus évoquer le sujet.

Un jour, tandis que je déambulais seule dans le grand hall d’entrée, je réalisais soudainement que je n’avais aucune idée du temps qui s’était écoulé depuis notre arrivée en ces lieux. Une semaine, deux, plus encore ? J’étais incapable de le dire… Tandis que j’y réfléchissais, d’autres interrogations se bousculèrent confusément dans mon esprit. Etait-ce le jour ou la nuit ? Depuis combien d’heures n’avais-je pas dormi ? A quand remontait mon dernier repas ? Alors que je cherchais en vain des réponses à ces questions pourtant évidentes, d’autres arrivaient, comme appelées par les premières. Avais-je seulement mangé quoi que ce soit depuis que j’étais ici ? Pourquoi étais-je incapable de me souvenir d’avoir jamais vu aucune fenêtre dans le palais ? Et pourquoi cette absence ne m’avait-elle pas choquée jusqu’alors ?

Je n’avais aucun élément de réponse, et ces questions me donnaient le tournis. Me focalisant sur ma respiration, je tâchais de faire le vide dans mon esprit. Après quelques minutes de relaxation, je rouvris les yeux, heureuse de m’être libérée de ces pénibles doutes. Puisque je ne connaissais aucune réponse à ces questions, à quoi bon m’infliger une telle torture mentale ? Calmée et rassurée, je me dirigeais vers un mur qui s’ouvrit à mon approche. Il fallait vraiment que j’arrête de penser à des choses aussi désagréables. Je m’engageais dans le long couloir qui s’offrait à moi, simplement heureuse d’y progresser en me fondant dans la brume. Peu de temps après, j’y fut rejointe par mon nouvel ami, qui m’offrit courtoisement son bras. Heureuse de pouvoir me tenir proche de lui sans plus penser à rien, je tâchais de caler mes pas sur sa démarche glissante…

Publié dans Chroniques

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
D
J'ai vu et je t'en remercie :)
Répondre
W
- DDC : Tu me mets la pression, mais c'est pour la bonne cause, alors je t'en suis reconnaissant  :-)
D
Comment donc ! C'est une obligation morale envers nous les pauvres lecteurs suspendus à ton clavier !! ;-)
Répondre
W
- DDC : Je ne crois pas que j'arriverai rapidement à revenir au lundi, mais pour l'instant la fréquence du chapitre hebdomadaire est respectée !
D
Rooh, tu ne vas pas t'en tirer comme ça mon cher Weird : t'étais en retard de 5 jours oui !! :-p (N'aggravez pas votre cas, Monsieur, plaidez coupable.)
Répondre
W
- DDC : Ah ben mince, ma ruse de rattacher ce chapitre à la semaine suivante n'a pas fonctionné alors :-p Bon je plaide coupable alors, mais je te rappelle que la publication le lundi est une habitude, pas une obligation :-)
D
Bon quand même, tu pousses le bouchon un peu loin : on attend toujours ta chronique de lundi !! Encore en train de rêver ? ;-p
Répondre
W
- DDC : What ? Mais c'est un commentaire sur quelle note ça ? Le chapitre de lundi dernier... que j'ai publié avec deux jours d'avance, soit le samedi d'avant !!! Mauvaise langue, va ;-)
D
Coucou mon cher Weird!<br /> J'ai repondu a ton email, c'est avec plaisir que j'accepte ta proposition de collaboration!<br /> Bisous.
Répondre
W
- Dicey : J'ai vu ça et je t'ai répondu à mon tour, ce matin. Merci merci merci bisous et merci !!!