Le récit de Gwennen (12/15) : Identité

Publié le par Weird

La sensation de malfaisance que je ressentais depuis mon retour au domaine s’expliquait enfin… Nos terres étaient effectivement aux mains de nos ennemis, et leur chef venait lui-même me cueillir. Prise au dépourvu, je pensai tout d’abord à ouvrir la fenêtre pour passer par le toit. Je chassai rapidement cette idée en me remémorant la facilité avec laquelle les boggarts avaient escaladé les murs du château : en un rien de temps, ils m’auraient rattrapée. Un bref et puissant craquement m’indiqua que la porte d’entrée du manoir venait d’être forcée. Et je n’avais même pas pris la peine de m’armer ! Enervée par mon manque de discernement, je descendis en courant les escaliers, dans le but d’atteindre la cuisine avant ces monstres. Je ne ferai pas vraiment le poids avec un couteau, mais c’était mieux que rien. J’étais en train de fouiller maladroitement dans un tiroir lorsque la pièce s’éclaira peu à peu. La silhouette que j’avais aperçue depuis la chambre s’approchait de moi, une torche à la main… Mes doigts se refermèrent enfin sur le manche d’un hachoir. Je le saisis et, prête à taillader tout ce qui me ferait face, me retournai brusquement. Le Haut-Rêvant se tenait devant moi, un sourire aux lèvres.

En le voyant, je sus immédiatement que quelque chose allait de travers. Je pense être suffisamment proche de lui pour le reconnaître sans me tromper. Bien que la personne que j’avais en face de moi eut la même apparence que le Haut-Rêvant, ce n’était pas lui. Mes sens ne pouvant se tromper à ce point, il s’agissait forcément du maître des boggarts. Poussant un cri de rage, j’abattis le hachoir sur lui de toutes mes forces. De sa main libre, il se contenta de bloquer mon poignet sans effort, tandis que son autre poing jaillissait vers mon visage. Le bas de son flambeau m’atteignit à la tempe, m’envoyant lourdement voler contre un meuble. La douleur me laissa estourbie pendant plusieurs dizaines de secondes. Lorsque je pus enfin m’asseoir au sol, la pièce devant moins tanguait dangereusement. Pendant ce temps, mon ennemi s’était assis à la table et attendait patiemment que je reprenne mes esprits. Il jouait négligemment avec le hachoir, faisait tourner sa pointe sur la table, tout en me regardant avec des yeux inflexibles. Et il n’y avait plus aucune trace de sourire sur son visage…

« Qui es-tu ? » me demanda-t-il soudainement. Sa voix était celle du Haut-Rêvant, mais privée de toute humanité. Je restai silencieuse, autant sonnée par la douleur qui irradiait dans mon crâne que par l’étrangeté de sa question. « Que fais-tu ici ? » poursuivit-il, « Et où se cache la fille de la gardienne ? ». Avec un temps de retard, je réalisai que cet interrogatoire – que j’avais d’abord pris pour un jeu pervers – était peut-être sincère. Mes traits, altérés par mon séjour au Palais des Brumes, devaient lui dissimuler ma véritable identité. Peut-être allais-je pouvoir utiliser cette chance inespérée à mon avantage ? Tandis que je réfléchissais à un plan, il reprit la parole, brisant net mon espoir. « Mais… c’est… toi… n’est-ce pas ? » chuchota-t-il en détachant désagréablement chaque mot de sa question. « Je me demande comment tu as bien pu changer de visage… Enfin, bien que ce déguisement soit inutile avec moi, tu as quand même eu raison d’y recourir. Cela t’offre la satisfaction de ne plus ressembler autant à cette traînée de harpiste. ». Cette dernière insulte avait été prononcée sans la moindre haine, comme si ce ton froid et calculé n’avait eu pour but que de m’atteindre. Ce qui réussit parfaitement, d’ailleurs. Mon sang ne fit qu’un tour et je me relevai d’un coup.

Le hachoir, lancé avec une vitesse telle que je ne l’avais même pas vu partir, se ficha dans le bois du meuble, juste au-dessus de mon épaule. Je fis un mouvement sur le côté, pitoyable réflexe arrivé bien trop tard, et constatai que le coup était passé si près qu’il avait sectionné une bonne partie de mes cheveux. « Ne crois pas que je t’ai raté involontairement. » dit calmement mon ennemi, avant de tendre la main vers son arme. Le hachoir se dégagea aussitôt du meuble et revint en tournoyant vers la table. Il s’en saisit au vol, sans même cesser de me fixer. C’est devant cette démonstration que je sentis que j’avais définitivement perdu le combat. Ma colère se teinta de désespoir, et je ne pus que provoquer vainement la créature qui me faisait face : « Et bien tue-moi tout de suite puisque tu es le plus fort… Ca m’évitera au moins d’entendre ta voix ! ». Il souleva un sourcil, visiblement surpris par mon attitude. « Ecoute-moi attentivement… » dit-il en avançant légèrement le buste vers moi. « Tu ne vis que parce que je le veux bien, et tu mourras lorsque je l’aurai décidé. Il en va de même pour ta mère, ainsi que pour chaque personne de ce domaine. Me tenter de la sorte est donc totalement futile. Oui, tu vas bientôt mourir de ma main, mais pas parce que tu me l’auras demandé. ».

J’avais beau chercher une solution, une parade, un moyen de m’enfuir, aucune idée constructive ne se présentait. Mes pensées étaient uniquement occupées par la douleur, la peur, et l’implacable sensation d’être impuissante face à lui. Je sentis des larmes se former dans mes yeux, et je m’en voulus d’être si faible. « Alors qu’attends-tu de moi ? » finis-je par demander, résignée. « Ah, voilà une attitude raisonnable ! », répondit-il en simulant la satisfaction. Rien ne semblait vrai dans sa manière de s’exprimer, et je le détestais d’avoir choisi les traits de mon ami pour me piéger. « Je vais donc t’expliquer à quoi vont ressembler les prochains jours : nous allons tout d’abord rentrer au château. Tu pourras y voir ta mère, et même parler un peu avec elle. Ensuite je la tuerai et je t’enfermerai à sa place. Et là, après une délai que je n’ai pas encore fixé, je te tuerai à ton tour. Ca te convient comme programme ? ». Malgré mes efforts pour ne pas être touchée par la torture mentale que m’infligeait ce psychopathe, ses paroles me terrifiaient. Parce que j’avais l’impression que c’était son objectif, parce qu’il y arrivait d’une horrible manière, et aussi parce que j’étais persuadée qu’il ne mentait pas !

« Tu vois… », ajouta-t-il, « … je ne te cache rien. En échange, j’attends de toi que tu te conduises convenablement, et que tu ne m’oblige pas à utiliser la manière forte. Tu n’aimeras sûrement pas l’entendre, mais tu ne me laisse pas indifférent. En souvenir de notre relation passée, je préfère te savoir docile que contrainte à obéir. Et tu sais pertinemment que j’ai les moyens de le faire, si tu ne joues pas le jeu. ». C’en était trop, et tandis que les larmes coulaient sur mes joues, je laissais exploser ma rage. « De quoi parles-tu, pauvre clown sans visage ? Notre relation, comme tu dis, n’est basée que sur la haine que je te porte depuis toujours ! Tu as assassiné mon père avant même ma naissance ! Tu as emprisonné ma mère depuis des mois ! Tu as créé une armée de monstres, avec laquelle tu sèmes la ruine et la mort à travers les Hautes-Terres du Rêve ! Un bon ami a moi a péri par ta faute, victime d’une horreur sans nom ! De quelle relation parles-tu ? Et pourquoi fais-tu tout cela à la fin ? ». Ma voix se brisa avec cette dernière phrase et je retombai sur le sol, totalement vidée.

M
on ennemi me saisit par les épaules et me força, fermement mais sans violence, à le regarder. Malgré toute l’horreur que m’inspirait ce contact, je n’eus pas la force de le repousser. D’une voix qui laissait passer un certain étonnement, il me dit : « Je ne comprenais pas ton attitude, mais maintenant tout s’explique. Il me semble normal, à cause de ton nouveau visage, que je ne t’ai pas reconnue tout de suite. Par contre, j’ignore pourquoi tu me confonds avec le Visiteur. Je ne suis pourtant que son humble serviteur… ». « Tu racontes n’importe quoi ! » lui crachai-je au visage. « Il te plait de jouer la comédie, de changer d’apparence pour tromper tes ennemis, mais je ne suis pas dupe ! ». « Mais enfin… », poursuivit-il, « C’est moi, le Haut-Rêvant comme tu me nommes… ». « Tu as peut-être ses traits, » répliquai-je, « … mais rien en toi ne lui ressemble. Tu peux continuer à mentir, tu n’arriveras jamais à tromper mon cœur ». Il resta silencieux quelques secondes, comme s’il tâchait de trouver une preuve de ce qu’il tentait de me faire croire. Puis il approcha encore son visage du mien, en une parodie de baiser, avant de dire : « Et pourtant, j’ai déjà conquis ton cœur, lorsque que nous naviguions sur la rivière. L’aurais-tu déjà oublié, Gwennen ? ».

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W
Weird : hé, hé, j'ai une mémoire d'éléphant :-D Indice : un jeu de société avec Tortoise, on cherchait qui allait commencer à jouer...  (et puis vous êtes du même mois Tortoise et toi, c'est facile à retenir !)
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W
- Wanderin : Ah, bien vu ! Boaf comme je ne fête jamais mon anniversaire, je ne retiens pas celui des autres non plus ;-)
W
Ah non !!! c'est pas possible !!! Raaaaa.... Pauvre Gwennen... Pauvre toi... mais non, c'est pas toi, hein ???? :-( <br /> (au fait, c'est pas un jour spécial pour quelqu'un, aujourd'hui ????)
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W
- Wanderin : Pauvres de nous, comme tu dis ! Et ouaip, hier était un jour un peu spécial, mais comment tu sais ça toi ? :-D
T
Moi aussi j'y avais bien pensé, mais j'osais pas y croire... Elle a du pain sur la planche, la Gwennen!!
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W
- Tortoise : A qui peut-on se fier dans ces contrées ? Même pas au narrateur ? C'est scandaleux ;-)
D
Ce que je redoutais tant est arrivé... j'espère qu'elle trouvera comment te faire redevenir toi-même :-s
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W
- DDC : Merci de t'en inquiéter, mais le fait que je soit là, devant mon PC à répondre à ton commentaire, prouve que je vais mieux ;-)