Le récit de Gwennen (11/15) : Retour aux sources

Publié le par Weird

C’était une sensation extrêmement désagréable, comme si je n’étais pas à ma place et que ce territoire n’était plus le mien. Les choses avaient-elles donc pu autant empirer pendant mon absence ? Je réfléchis rapidement aux différents lieux que je pourrais rapidement rejoindre depuis l’endroit où je me trouvais. La protection du château était tentante, mais il devait être depuis longtemps aux mains de nos ennemis. Le domaine du Peintre serait probablement le lieu où j’aurai été le plus en sécurité, mais il était utopique d’espérer le rejoindre en un seul voyage. Je décidai donc de me rendre tout d’abord au Manoir de l’Absolu, qui était le bâtiment le plus proche de ma position. J’y trouverai forcément de quoi me restaurer et me vêtir… C’est en pensant à ce dernier besoin que je réalisai soudainement l’étrangeté de la situation. Bouleversée par les derniers événements et désireuse de retrouver le domaine, j’étais entrée dans la forêt… sans manteau ! Et pourtant, le froid mortel qui protégeait habituellement nos terres ne se faisait pas sentir. N’importe qui pouvait-il donc circuler sans protection particulière ?

Impatiente de rejoindre ma destination, je gagnai le plus proche sentier au pas de course. L’après-midi touchait à sa fin, et je voulais absolument rejoindre le manoir avant la tombée de la nuit. Pour une raison que j’ignore, les boggarts semblent toujours plus actifs quand l’obscurité recouvre les hautes-terres... Tout en progressant, je tâchais de faire la liste des alliés qui me restaient. Le Haut-Rêvant était je ne sais où, et ma mère se trouvait sûrement sous bonne garde. Comme je ne voulais pas impliquer d’avantage la Tenancière, il me fallait donc me tourner vers le Peintre. Lui-seul pourrait m’aider à comprendre ce qui s’était passé avec la boussole, ainsi qu’à concevoir un nouveau plan d’action. Alors que j’arrivais à un embranchement, un gémissement plaintif se fit entendre sur le côté. Mes sens me répercutèrent une grande douleur et une infinie détresse en provenance de cette direction. Bien qu’en chercher l’origine m’éloignerait du manoir, je décidai malgré tout de faire un crochet pour comprendre ce qui se passait.

J’eu une terrible réponse à mes interrogations, quelques dizaines de mètres plus loin. Dans une petite clairière gisait l’immense corps meurtri du Barghest. Tremblante de peur et de chagrin, je fis le tour de son imposante silhouette. Sa peau était entaillée par des dizaines de blessures, et une horrible brûlure semblait lui avoir paralysé les pattes arrières. Tout en m’approchant de son énorme tête, qui reposait sur le sol, je tentais d’imaginer quelle puissance avait pu en venir à bout. Cet esprit veillait depuis toujours sur notre forêt, sous la forme d’un gigantesque chien. Il traquait et chassait impitoyablement tout intrus osant s’y aventurer avec de mauvaises intentions. Jusqu’à ce jour, j’ignorai qu’il était possible de blesser le Barghest, et encore moins de le vaincre. Le molosse géant plongea son regard dans le mien, et lorsqu’il rendit son dernier souffle, je pus ressentir une partie de la douleur qu’il éprouvait alors. Tandis qu’une vapeur sulfureuse s’élevait dans l’air, son corps se transforma en une énorme souche à la forme vaguement canine…

Je posai la main sur ce qui avait été sa truffe, encore chancelante à cause de la souffrance que je venais d’encaisser. Si nos adversaires s’étaient montrés capable de tuer le Barghest, c’est qu’ils étaient nettement plus forts que ce que je croyais. Il me fallait donc agir avec la plus grande prudence et rassembler toute l’aide que je pourrai trouver. D’un autre côté et malgré mes efforts, je ne pouvais imaginer personne capable de tenir tête à l’être sans visage. Personne à part le Haut-Rêvant bien sûr, et seulement s’il avait pu accomplir son initiation. Plus déterminée que jamais, je repris ma course en direction du manoir. Les premières étoiles apparaissaient dans le ciel lorsque j’atteignis enfin la bâtisse. J’eus le plaisir de la retrouver telle que je l’avais vue pour la dernière fois. Etant donnée la débâcle dans laquelle je me trouvais, je m’étais plus ou moins attendue à découvrir un tas de pierres fumantes. C’est donc légèrement réconfortée que je poussai la porte d’entrée et pénétrai à l’intérieur. Le Manoir de l’Absolu était obscur et silencieux, aussi je décidai de n’allumer aucune lampe pour ne pas me faire repérer de l’extérieur. Avançant prudemment, je fis le tour des pièces pour m’assurer que j’étais bien seule. Je profitai de cette patrouille de reconnaissance pour déplacer un petit meuble jusque devant la porte de la cave. Si cette protection n’empêcherait pas des boggarts d’entrer dans la maison par le souterrain, le bruit me préviendrait au moins de leur présence. Lorsque je fus sûre que les différentes issues étaient closes, je revins à l’étage pour m’équiper.

Le manoir, porte de passage entre les deux mondes, est un lieu qui m’a toujours fasciné et effrayé en même temps. Malgré ma curiosité, je n’y suis venue que quelques fois au cours de ma vie, et je n’ai jamais voulu y rester longtemps. Il se dresse pourtant sur notre domaine, mais le fait qu’il ait été la demeure onirique de mon père m’a toujours gêné pour l’explorer. Je ne me suis jamais senti le droit de fouiller dans ses affaires, malgré le temps qui a pu s’écouler depuis son décès. Mais cette nuit-là, les choses étaient différentes et la situation critique. Dans une chambre au premier étage, je découvris un pantalon et des habits à ma taille. Rapidement, je les échangeais contre la moitié de tenue que je portais depuis mon évasion du Palais des Brumes. Un passage devant un miroir me permit de vérifier que mon visage avait bien été altéré par le maléfice qui dominait ces lieux maudits. Mes traits et mes cheveux semblaient désormais à mi-chemin entre mon apparence habituelle et celle des jumelles éthérées. Troublée et mal à l’aise, je détournai les yeux de ce reflet que je ne reconnaissais qu’à moitié…

L
e ciel était noir comme l’encre lorsque j’entrepris de me restaurer dans la cuisine. Heureusement que cette maison pourvoyait à tous les besoins de ses occupants ! Tout en mangeant, j’hésitais sur la conduite à tenir. Il aurait été plus prudent de passer la nuit en ces lieux, avant de partir pour le domaine du Peintre le lendemain. D’un autre côté, j’étais dans le Manoir de l’Absolu, et mon sommeil pourrait me faire basculer dans le Monde de l’Eveil ! Ce qui - en toute logique - me donnerait probablement l’occasion de retrouver plus vite le Haut-Rêvant. Il y avait en effet plus de chance qu’il se trouve dans sa réalité quand dans la mienne. Je n’avais pas pensé à cette éventualité en venant jusqu’ici, mais maintenant que l’idée s’était imposée à moi, je décidai de profiter de l’occasion. Le voyage entre nos mondes s’était bien déroulé la première fois, et de toute manière je n’avais pas grand chose à perdre en essayant. Après avoir dîné, je montai donc au second étage et gagnai la chambre qui m’avait précédemment servi de point de transit. Je devais être allongée depuis une minute tout au plus lorsque de terribles cris brisèrent le silence nocturne. Je me relevai d’un bond et m’approchai de la fenêtre pour observer la clairière. Une bonne centaine de boggarts, agitant des torches enflammées et hurlant comme des déments, se rassemblait autour du manoir. Après avoir pris position, ils laissèrent passer une haute silhouette encapuchonnée qui se dirigea d’un pas tranquille vers la porte principale…

Publié dans Chroniques

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T
Alors si j'ai bien compris, c'est dans le prochain chapitre que ça se gâte vraiment!!
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W
- Tortoise : En général, un rassemblement de dizaines de boggarts ne laisse en effet rien présager de bon :-D
D
En tous cas elle peut s'estimer heureuse que son domaine ait été colonisé, sinon elle serait morte de froid... tandis que même si les boggarts la font prisonnière, elle peut toujours espérer un retournement de situation. Le peintre a peut-être des remords, sa mère a peut-être retrouvé ses pouvoirs... et toi, tu restes où hein, feignant ? Je suis sûre que tu tiens trop à elle pour la laisser mourir, même s'ils t'ont fait un lavage de cerveau en son absence... pis t'as dû apprendre à maîtriser mieux tes pouvoirs maintenant, donc ce sera un vrrraiii jeu d'enfant pour toi :-)C'est bon signe qu'elle ait déjà retrouvé un visage "à moitié normal"... je suis sûre qu'avec le temps et en prenant de la nourriture de son monde elle va finir par retrouver son visage.
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W
- DDC : Merci pour toutes ces remarques et hypothèses :-D Si jamais il me prenait l'envie d'écrire un roman fantastique au lieu de raconter mes nuits, je t'embaucherai comme co-scénariste ;-)
D
Rha, maudits épisodes qui me semblent toujours trop courts !!!
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W
- DDC : Ce n'est pas de ma faute, c'est le récit de Gwennen ;-)
W
Waaaa l'horreur... pauvre Gwennen entourée de boggarts ! En tout cas, c'est vraiment étrange tout ça (le Barghest mort, le froid qui n'est plus mortel...) brrr, de plus en plus sombre (ou est-ce parce qu'il fait nuit ? ;-)
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W
- Wanderin : Quand la nuit tombe sur les contrées du rêve, il y a des risques que ça tourne au cauchemar...